Catégorie : Appendices
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Au temps de l'Escadrille Auxiliaire.

 

 

Le dimanche est sacré à Beauvechain, que tous les pilotes fuient pendant le week-end. Les "Meteor" se reposent sur le tarmac, devant les hangars.
Ils sont recouverts d'imperméables gris, qui protègent leurs turbines. Pas une âme en vue, l'aérodrome est désert !

Mais soudain, le vent nous apporte l'écho d'une explosion, suivie d'un bruit de moteur qui tourne. Que se passe-t-il ? Un avion va-t-il décoller ?
Mais oui !   Un "Spitfire" s'avance, roule vers la piste d'envol, s'attarde, puis s'élance gracieusement dans les airs. Il tournoie, pique, vire sur l'aile, se tourne et se retourne comme une truite dans l'Ourthe. Pour nous, le mystère demeure entier.
Assistons-nous à une expérience d'aviation téléguidée ? 

La tour de contrôle doit pouvoir nous renseigner.
Pénétrons-y, montons des escaliers. Nous voici dans une cage de verre. Un lieutenant nous tourne le dos et fait face à une table de contrôle, dans laquelle sont encastrés des micros, des haut-parleurs, et un nombre invraisemblable de cadrans, beaucoup plus compliqués que celui d'un compteur à gaz.

L'officier baragouine quelques mots en anglais devant un micro, puis actionne un interrupteur. Une voix vient de loin. Elle dit à peu près ceci :
- Fat-Boy one eight calling... The weather is shitty...

Nous avons compris. L'avion qui vole n'est pas un engin téléguidé, car ces mécaniques n'emploient pas d'expressions pareilles, même en anglais, pour dire que le temps est mauvais.
C'est du vrai "langage aviation". Quelques plaisanteries sont d'ailleurs échangées entre l'aviateur et la tour de contrôle, puis le "Spitfire" annonce son intention de se poser. Il exécute un atterrissage magistral, roule sur la piste, s'arrête.

L'homme de la tour de contrôle doit être prêt à nous fournir toutes explications.

Nous descendons de la tour, et traversons quelques pistes. Nous longeons le mur d'un hangar, nous nous arrêtons devant une fenêtre étroite, nous frappons, et entrons, par la fenêtre, bien entendu !

 

Au "Quartier général".

 

Autour d'un poêle, une dizaine de jeunes garçons discutent "le coup".
Ils sont vêtus d'espèces de salopettes et on ne voit pas leurs grades. Celui-ci n'a d'ailleurs aucune importance, car manifestement il n'y a ici qu'une bande d'amis. Ce sont les aviateurs du dimanche de la Force Aérienne.

"Aviateurs du dimanche" n'a aucun sens péjoratif, bien au contraire. Ce ne sont pas des maladroits, leur passé aéronautique le prouve.
Bien que fort jeunes ils sont tous des as du manche à balai. La plupart se sont battus dans les rangs de la R.A.F. pendant la guerre, après s'être évadés de Belgique et quelques-uns ont été décorés de la fameuse D.F.C. (Distinguished Flying Cross)

La guerre terminée, ces hommes étaient redevenus civils. Cependant, quand on a goûté à l'aviation, on "l'a dans la peau". Et ces anciens envièrent les jeunes pilotes et ceux qui, rentrant d'Angleterre, étaient restés à la Force Aérienne.
Cela dura jusqu'au jour où il fut décidé d'imiter l'exemple anglais, la R.A.F.V.R (Royal Air Force Volunteer Reserve).
Comme les Anglais, les Belges décidèrent de créer une escadrille auxiliaire. Immédiatement une vingtaine de réservistes se firent inscrire. Et depuis lors, c'est à dire depuis deux ans, ces aviateurs viennent passer leurs loisirs à Beauvechain.
Le dimanche, ils volent sur "Spitfire XIV" mais bon nombre d'entre-eux viennent aussi en semaine pour voler sur des "Meteor"

L'Escadrille Auxiliaire est commandée par le Capitaine Mouzon, inspecteur principal de la Régie des Voies Aériennes.
Le commandant en second est le Capitaine Rigole, le seul membre de l'escadrille qui appartienne à l'active. La présence du Capitaine Rigole est absolument indispensable car il faut une permanence et il y a une certaine quantité d'affaires administratives à régler.
Enfin, c'est le Colonel Le Roy du Vivier, héros de la bataille d'Angleterre, qui commande le personnel volant de la réserve. Les deux premiers étaient également à la R.A.F.

 

Le docteur.

 

Parmi les membres de l'escadrille, notons des industriels, des directeurs de société, un diplomate, un ingénieur, un médecin, un docteur en chimie, des avocats, des négociants, un étudiant aussi. C'est le médecin qui, le premier, prit l'initiative de reprendre le vol après la démobilisation. Mais aujourd'hui, il habite Lyon.

Il est 11h30. Pas de temps à perdre. Le Capitaine Rigole hurle :

Car on parle anglais, à la Force Aérienne, tout au moins pour les questions "service". "Briefing" signifie, en français, quelque chose comme conférence, conciliabule, exposé.
Aussitôt un attroupement se forme autour d'un tableau noir. Le Capitaine regarde sa montre, déclare :

"Press-tit" doit vouloir dire "Démarrage". Nous n'avons pas le temps de demander plus d'explications car le Capitaine Rigole décrit, en termes d'aviation, le programme de l'expédition, c'est à y perdre son latin :

Nous écoutons, bouche-bée... Eux ont compris !

 

Haute école.

 

Les moteurs tournent. Trois avions sont au bout de la piste, comme des chevaux au départ de Stockel. Tous roulent côte à côte, leurs roues quittent en même temps le sol. Et déjà, les trois suivants prennent leur envol.

Au-dessus de nos têtes, les appareils évoluent. Ils piquent vers nous et nous réprimons avec peine l'envie que nous avons de nous coucher par terre, pour éviter la casse. Mail ils sont déjà au loin.

¨Les évolutions sont parfaitement synchronisées. Quelques spécialistes de l'aviation sont venus se joindre à nous et ne cachent pas leur admiration pour ces "aviateurs du dimanche" qui font sans doute aussi bien que les pilotes de tous les jours.

L'"Alger break" termine la manoeuvre. C'est un piqué, sur la plaine, de trois avions à la fois qui, pendant la ressource, s'épanouissent en éventail, le chef de section effectuant un tonneau ascendant.
Ce tonneau ascendant, c'est le "climbing roll" dont parlait le Capitaine Rigole...

 

L'opération Apéritif.

 

La phase suivante se déroule au bar, où nous sommes accueillis par une nuée de jeunes femmes et par des enfants.
Ce sont les familles des aviateurs. Elles viennent ici tous les dimanches et en été l'aérodrome de Beauvechain se transforme en véritable maison de campagne. Les enfants gambadent pendant que ... papa "pique", et que maman "coud" !

Les femmes d'aviateurs, qu'en pensent-elles ?

Les gosses, eux, n'ont pas le droit à l'apéritif. Ils dessinent, dans une autre pièce du "mess" des officiers.
Allons les voir. Une petite blonde de quatre ans dessine des avions et nous dit :

Nous avons vu voler tant de papas ce matin. La petite fille du Capitaine Rigole à bien six ou sept ans :

Nous en sommes renversés : nous étions sûrs qu'elle allait répondre "Air-hôtesse" ...

 

Fat-Boy one-eight.

 

Après le déjeuner, Mr Dewit, administrateur de l'Association des officiers de réserve de la Force Aérienne, assisté des lieutenants Valcke et Serge d'Ursel, nous conduit avec la caravane de femmes à la tour de contrôle. C'est un observatoire idéal pour voir les activités des avions qui prennent l'air.
Ceux que nous avons vu voler ce matin "repiquent".  Deux autres pilotes se sont joints au groupe, le Capitaine Muls, qui a pour mission d'aller inspecter les conditions atmosphériques vers le Sud-Ouest, et le Lieutenant Ooms, frère de celui qui volait déjà au cours de la matinée.

En quelques instants, le ciel s'est peuplé d'avions. Une formation procède à des manoeuvres en "Vic" serré au-dessus de la plaine, une deuxième formation effectue une mission de chasse tactique à basse altitude, avec interception ultérieure des appareils de la première formation, qui lui est opposée. Ces vols s'accompagnent d'échanges de commentaires avec la tour de contrôle. Les voix sont déformées par la radio, mais les dames croient cependant les reconnaitre.

"Fat-Boy one-eight", c'est son mari. Dans le civil, il s'appelle Muls.

Le lieutenant de réserve Dewit nous parle de la passion de ces hommes pour l'aviation. On ne peut la comparer qu'avec celle que certains officiers de cavalerie éprouvent pour les chevaux. Il y a d'ailleurs des similitudes : Les membres de l'Escadrille Auxiliaire viennent "monter" des "Spitfire" à Beauvechain, comme les cavaliers se rendent à l'Etrier sis au Rouge-Cloître.

Et la relève ?  Car peu à peu tout de même, les pilotes du dimanche vont se retirer de l'aviation. Un jeune nous fournit la réponse :

Vous le voyez, lecteurs, l'Escadrille Auxiliaire ne s'éteindra pas. Il y aura toujours de joyeux lurons et de bons aviateurs. Il y aura toujours des pilotes du dimanche.

 

Pierre De Vos    
Le Soir               

 

L'Escadrille Auxiliaire en bref.