Catégorie : Appendices
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 23 Mai 1978 - Dernier vol du FX18.

 

Par une belle journée de printemps, en ce 23 Mai 1978, deux F-104G de la 350 sont prêts à décoller pour un vol d'entrainement à moyenne altitude.
Les deux pilotes, le Lt Jean-Luc "Yogi" Storder, ainsi que le Lt Theo Everaert s'en vont faire du Dogfight avec, respectivement, le FX13 et le FX18.

Le dogfight est très agressif, et lors de l'approche sur Beauvechain, le Lt Everaert se retrouve "Low on fuel", et bien qu'étant l'ailier du Lt Storder pour ce vol en particulier, il est décidé de le laisser se poser premier.
Le fait de voler sur un avion portant le chiffre treize, pousse également Theo à prendre cette sage décision, qui sera confirmée comme étant la meilleure, étant donné ce qui va se passer par la suite.

 

 

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L'atterrisage du FX18 nous est relaté ci-dessous par son pilote, le Cdt e.r. Jean-Luc Storder.

 

 

Après un vol sans soucis en paire avec un autre 104 piloté par le Slt Theo Everaert, nous rentrons à Beauvechain aux environs de 16 heures.

Léger vent d'est, attérrissage en piste 04.



Je pose mon avion, dépose la roue de nez, engage le "Nose Wheel Steering", déploie le "Drag Chute" et à cet instant un violent "shimmy" se produit, et dans la seconde qui suit, un choc, et la roue de nez braque à fond vers la gauche, entraînant l'avion dans un violent dérapage vers la gauche. J'estime la vitesse aux environs de 120 noeuds. (+/- 200 Km/h)

Sous l'effet des "G" transverses, je suis plaqué sur le côté droit de mon siège et en quelques fractions de secondes, l'avion sort de la piste, et, toujours en dérapage, arrive dans la zone labourée.

A ce moment, le train droit s'enfonce dans le labour, l'aile droite touche le sol et projette le 104 en retournement.

D'après les photos, il fait un demi-tour en l'air et percute violemment le sol sur le dos, parallèlement au fuselage. L'aile gauche se brise en deux tout en s'enfonçant en terre, ce qui stoppe l'avion en à peine un mètre. Le choc est très violent et casse du même coup la queue, arrache le "pylon tank" restant, casse le cockpit, le nez...
La roue de nez a été arrachée et est retrouvée plusieurs centaines de mètres plus loin. Le "pylon tank" droit a été arraché avant le retournement. Aucune glissade heureusement, mon casque étant en contact avec la terre, celle-ci m'aurait été fatale.

Très conscient pendant toute cette phase, je me souviens juste avoir fermé les yeux au moment du retournement puis de les rouvrir au moment du choc final.

En une fraction de seconde, tout s'est arrêté, sauf le fantastique moteur J79 qui tourne toujours !
Incroyable !

Le temps de rassembler mes esprits, je veux couper le moteur par réflexe, en suivant la procédure habituelle (Stop Cock) mais, heureusement pour moi, le "Throttle" est bloqué. Je cherche donc à couper le moteur par la procédure d'urgence, ce qui vide la conduite de fuel et arrête le moteur après de (très) longues secondes.

Tout ceci, la tête en bas, le casque (cassé) dans l'herbe et sous un stress certain. (Vive l'adrénaline)



A ce moment, je cherche à sortir, j'empoigne le couteau brise verrière, mais après quelques coups infructueux pour agrandir le trou de la verrière, n'y arrivant pas dans cette position plus qu'inconfortable, j'abandonne.

Mon attente n'est pas longue (bien que parraissant une éternité). J'entends des bruits de moteur, puis soudain des bruits d'extincteurs, et là, je pense que l'avion brûle. Heureusement, il n'en est rien et les pompiers éteignent juste quelques flammes à l'intérieur du moteur.

J'arrive à passer une main par le trou de la verrière et fais des signes en espérant que quelqu'un me voie. Un pompier apparait, l'air très surpris de me voir bouger, puis disparait à mon grand désespoir, mais heureusement pour revenir avec ses collègues, qui, à trois arrivent à agrandir le trou de la verrière et à m'extraire du cockpit. (Avec mon parachute sur le dos)



Quelques secondes plus tard, je me "promène" autour de l'épave du pauvre FX18, sans ressentir la moindre douleur, en étant juste un peu plus nerveux que d'habitude. (Je pense avoir consommé toute l'adrénaline disponible dans un rayon de 10 Km)



Quelques minutes plus tard arrive à toute allure la voiture noire du Chef de Corps (Col René Soufnonguel) qui remonte la piste, voit un pilote (moi) sur le bord de celle-ci, s'arrête à sa hauteur, ouvre sa fenêtre et lui dit :
- C'est qui ? ...  je lui réponds : 
- C'est moi mon Colonel ! ... et lui de crier :
- Ce n'est pas le moment de vous foutre de ma gueule ! ... et moi de lui répondre :
- Mais si je vous assurre, c'est moi mon Colonel !  

Là, il me regarde intensément et me dit : "Monte ! "
Cinq minutes plus tard j'étais en sa compagnie au Mess Officiers avec un premier verre en main, entouré par des dizaines de "vieilles tiges" qui y tenaient une fête.

Mes collègues de la 350 ne savaient pas où j'étais passé, ils ne m'ont rejoint que plus tard, mais pour une longue, très longue soirée. Quel souvenir !

Le lendemain, après un débriefing devant la commission d'enquête, et après une visite médicale qui constatat seulement un "bleu" de la cheville droite jusqu'au cou, deux coups sur les tibias, et un pouls qui était encore à 150 (!), je fûs jugé apte sans restrictions, ce qui fît que dans l'après-midi, Theo et moi, avons pu refaire le même vol que la veille. Avec pour ma part, un certain stress quand j'ai vu, lors de l'approche, mon avion qui était toujours sur le bord de la piste.



Malgré cela, le F-104 resta toujours cher dans mon coeur, et c'est avec beaucoup de regrets que je le quittai un an plus tard pour retourner à Brustem sur Alpha-Jet.

Le rapport de la commission nota que le problème est venu de la rupture brutale de la pièce maitresse du "Nose Wheel Steering" et que celui-ci se mit en butée gauche, entrainant ainsi l'avion dans un dérapage très marqué, la trace de la "Nose Wheel" se retrouvant superposée à celle laissée par la "Main Wheel" gauche.

L'avion sera classé Cat 5, c'est à dire déclassé suite à la rupture du fuselage, aile, etc.

 

 

Cdt e.r. J-L Storder