Catégorie : Appendices
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4 Juillet 1959 - Opération Simba.

 

Introduction

 

Depuis plusieurs années, la Force Aérienne désire effectuer une liaison Belgique - Congo avec des avions militaires à réaction.
Du point de vue strictement vol, une telle mission n'offre pas de difficultés particulières, à condition de disposer d'un certain nombre d'aérodromes convenables.
Malheureusement, du point de vue logistique, le problème est assez complexe ; en effet, à part quelques aérodromes de la côte Nord de l'Afrique, aucun des aérodromes du continent africain ne disposent de ce qui est indispensable pour les chasseurs à réaction, à savoir le carburant, l'oxygène sous pression, les groupes de démarrage,etc.
La mise en place par la Force Aérienne de tout ce qui est nécessaire pour assurer le soutien logistique de ces avions n'est pas impossible, mais jusqu'à Juillet 1959, elle n'a pu être réalisée en raison du prix énorme qu'elle aurait coûté.
L'utilisation récente par les compagnies civiles de transport aérien  d'avions équipés de turbo-moteurs à toutefois permis la révision du problème et sa réalisation dans des conditions acceptables de prix de revient, vu la mise en place de kérosène sur les aérodromes importants d'Afrique.
Une magnifique opportunité de réaliser une liaison Belgique - Congo se présente à l'occasion des festivités organisées le 11 Juillet 1959 à Kamina, pour le dixième  anniversaire de la base.
C'est au 1Wing de Chasse Tout temps, équipés d'appareils Avro CF-100 qu'est confiée la réalisation de cette première liaison en avion à réaction. 

 

 Etude préliminaire

  

Choix de l'avion et de la route.

Alors que les autorités supérieures ont marqué leur accord pour qu'une section de quatre avions à réaction participe au meeting de Kamina, un comité est chargé de l'étude générale du projet et de la coordination des mesures à prendre.

Le premier problème à résoudre est le choix de l'avion.
Très rapidement, le choix se porte sur le CF-100 pour les raisons suivantes :

Le deuxième problème à résoudre est le choix de la route à suivre.
Pour cela, il faut :

A première vue, il est très tentant d'utiliser l'itinéraire le plus direct, à savoir Beauvechain - Tripoli - Kano - Léopoldville.
Tous ces aérodromes reçoivent régulièrement les longs-courriers africains, y compris les avions Comet et Britannia, et par conséquent conviennent parfaitement pour recevoir les CF-100.
Malheureusement, la distance la plus longue à franchir, Tripoli - Kano (1300 Nm - 2340 Km) plus la diversion la plus rapprochée Fort Lamy ou Niamey, à 390 Nm (700 Km) est légèrement trop grande pour le rayon d'action utile du CF-100.
De plus, pratiquement aucune aide à la navigation n'existe sur cette étape, la seule radio-balise de Djanet à peu près à mi-distance en plein désert est presque toujours inutilisable. En conséquence, du fait que l'on ne vise pas à réaliser une performance de vitesse, mais bien une mission avec une performance complète pouvant être répétée ultérieurement, cet itinéraire est abandonné pour raison de sécurité.

Un deuxième itinéraire passant par  Alger -  El Goléa - Tamanrasset -  Niamey -  Fort-Lamy - Léopoldville est également abandonné, il nécessite de trop longs délais pour recevoir du carburant sur place. 

Un troisième itinéraire passant par Rome - Athènes - Le Caire - Karthoum - Entebbe - Kamina est aussi abandonné, vu les difficultés pour obtenir les autorisations de survol et d'atterrissage en Egypte et au Soudan.

Reste un quatrième itinéraire à envisager : Beauvechain - Lisbonne - Las Palmas - Dakar - Abidjan - Lagos - Léopoldville.
Cet itinéraire, bien que le plus long, répond exactement à toutes les conditions requises de ravitaillement et de sécurité, à savoir :

  

Aussitôt la route fixée, un Project Team est constitué, dont la mission est définie de la façon suivante :

Le Project Team est constitué des personnes suivantes :

 

Mission de reconnaissance d'itinéraire.

Aussitôt constitué, au début de Juin 1959, le Project Team établi un plan de travail qui se résume comme suit :

Le 11 Juin, un C-119 décolle de Melsbroek pour effectuer la reconnaissance de l'itinéraire envisagé, à savoir :
Lisbonne - Las Palmas - Dakar - Abidjan - Lagos - Léoplodville.

Dès le départ, le Project Team s'attend à ce que la question la plus délicate à régler soit le ravitaillement en oxygène.
A cet effet, douze bonbonnes de 200 kilos sont emportées pour constituer un petit stock de réserve sur les aérodromes qui n'en possèdent pas, et aussi pour être certain d'en disposer dès l'arrivée des avions à réaction.
Les principaux problèmes à résoudre aux aérodromes sont les suivants :

Parti le 11 Juin, le C-119 est de retour à Melsbroek le 19 Juin, après avoir mis au point tous les détails de ce qui va être appelé : l'Opération Simba.

Les enseignements de ce voyage de reconnaissance sont les suivants :

 

Les équipages

 

Après le retour de la mission de reconnaissance, le nom des équipages est connu :

 Paire n°1 :
Pilote Nr.1    Leader    Maj   Cyriel    Delers    11Sqn  AX-**   
Navigateur    Maj Edouard    Laden 11Sqn AX-**
Pilote Nr.2   Lt Pierre Hallaux               349Sqn    AX-44
Navigateur   Capt   Raymond   Pollet 350Sqn AX-44

 Paire n°2 :
Pilote Nr.3    Leader    Lt    Marcel    Van der Stockt    349Sqn    AX-23  
Navigateur   Capt    Georges    Bery 350Sqn AX-23
Pilote Nr.4   Adj Jan Elen 11Sqn AX-**
Navigateur   Adj Pierre De Clercq 11Sqn AX-**

 

Equipage de réserve et officiers de liaison :
Pilote    Capt    André    Opdebeek   
Navigateur    1Sgt Freddy Huggenberger   

 

 

Équipement spécial 

Outre le matériel de sauvetage obligatoire à bord du CF-100, l'équipement suivant est emporté par chaque membre d'équipage :

 

Derniers préparatifs


Chaque étape ayant été préparée minutieusement; des cartes portant tous les renseignements indispensables à la navigation sont distribuées aux équipages.
Un briefing général est donné à Beauvechain au cours duquel l'ensemble de la mission est minutieusement expliqué ; le rôle de chacun des participants étant bien défini.
Les cartes d'approche des aérodromes de destination et de diversion sont distribuées, et les procédures expliquées.
De plus, le médecin de la Base fait un exposé sur l'hygiène tropicale et les moyens de survie en brousse et dans le désert.

 

 


 

    

 Étape Beauvechain - Lisbonne - Las Palmas

 

 

La semaine précédent le départ est pour tous une semaine d'effervescence ; passeports, ordres de marche et de mission, briefings, rebriefings, discussions, point de vue médical, tout y passe et tout le monde travaille dur.

Journée du 3 Juillet.
 

Le 3 Juillet 1959, il est à peine cinq heures du matin.
Les équipages des deux C-119 (CP22/OT-CBB & CP34/OT-CBN) remplissent les dernières formalités et procèdent aux ultimes vérifications des appareils.
Outre les équipes techniques, sont également du voyage l'équipage de réserve : le Capt "Opki" Opdebeek, et l'Adj Nav Huggenberger surnomé "Le Suisse".
A six heures, les deux C-119 d'appui décollent de Melsbroek à destination de Lisbonne qu'ils atteignent après cinq heures de vol sans histoire.
Si le CP-22 reste sur place en attendant les quatre CF-100, le CP-34 n'y effectue qu'une brève escale.  A peine le temps de prendre un verre et d'expédier quelques cartes postales.
Après une petite heure,il reprends sa route vers Las Palmas aux Canaries, où l'équipage et les techniciens passent la nuit avant de repartir le lendemain pour Dakar.
Seul "Opki" reste sur la base pour accueillir les chasseurs attendus dans la journée.

 

L'équipage du C-119 CP-22 d'appui n°1 est le suivant :

Commandant de bord  Chef de mission  Lt Col    Binon 
Co-pilote   Capt Jozef   Danhier
Navigateur   1Sgt    Roloux
Radio   Adj   Smets
Mécanicien de bord   1SM   Barello


L'équipe technique est composée des techniciens suivants :

Chef d'équipe     Lt    Decuyper 
Moteur  1Sgt       Vermeir
Cellule Sgt  Jean  Decocq
Instrument Sgt André  Deza
Electricien Sgt Julien Aerts
Radio Sgt  René     Espenhout
Armurier Sgt   Verlinden

 

 L'équipage du C-119 CP-34 d'appui n°2 est le suivant :

Commandant de bord     Capt  Marc    Desender 
Co-pilote  Adj   Fonck
Navigateur  Capt      Dehuy
Radio 1Sgt    Garroi
Mécanicien de bord 1SM   Gyckiere

 

L'équipe technique est la suivante :

Chef d'équipe   Lt    Jean   Gustin  
Moteur  1SM  Marcel     Van Heerweegen  
Cellule 1SM     Stan Poljet
Electricien  1SM  Rik Beulens
Instrument Sgt Jean Bidoul
Radio Sgt Léon Wanbersie

 

 

Journée du 4 Juillet.


Le 4, trop tôt pour certains, le fruit est mûr, et à 5 heures, alors que le soleil pointe à peine à l'horizon, les quatre CF-100 (AX-1 - AX-12 - AX-23 - AX-44) décollent et immédiatement mettent le cap sur Lisbonne.
Dans le matin resplendissant, les quatre chasseurs grimpent allègrement à l'altitude de croisière (40.000 pieds), ils se groupent en une large formation de combat et bientôt survolent Paris qui s'étire dans les brumes matinales.
Les contacts radio avec le contrôle civil sont bons ; les réservoirs auxiliaires, le principal souci, se vident correctement, le temps est magnifique, pas un nuage, tout va bien. Le matériel de survie encombrant, les savants conseils qui résonnent encore dans les têtes semblent actuellement inutiles et ridicules dans le ciel d'une pureté exceptionnelle. La côte espagnole s'efface sous les ailes aux environs de Santander.

 


Bientôt, la radio capte les premiers renseignements météorologiques : "Brouillard à Ota" !
Les équipages refusent de croire ces nouvelles pessimistes, le Maj Delers demande dès lors confirmation.
Hélas, plus de doute, l'aérodrome militaire de Lisbonne-Ota et l'aérodrome civil de Lisbonne connaissent également des plafonds bas.
Les procédures de descente et d'attérrisage rapidement consultées, la formation se resserre autour du leader.
Comme les Portugais utilisent un anglais revu à la mode ibérique, les communications radio s'avèrent laborieuses, de plus comme il s'agit d'un week-end, les radars de la base ne fonctionnent pas.
La formation effectue au dessus de Lisbonne un large virage et bientôt est autorisée à entamer la procédure de descente.
Les radio-compas des ailiers donnent d'étranges indications, le leader est suivi, sans toutefois comprendre ses manoeuvres.
Vers 1500 pieds, plus aucun doute, le radio-compas du chef de formation doit être détraqué.
La formation se disloque aussitôt en deux paires. Au sol, les Portugais semblent se rendre compte de la situation, ils comblent les pilotes de renseignements parfaitement inutiles.
La paire n°2 (Van der Stockt - Elen) regrimpe aussitôt au dessus de la couche et recommence la procédure d'approche. La paire n°1 (Delers - Hallaux) où le leader a cédé le commandement à son ailier, fait de même.
Tout à coup, dans les écouteurs résonne une voix grave très vite reconnue, c'est le chef de mission, qui voyant la situation, passe les consignes. Cette fois tout marche normalement, les quatre CF-100 se posent sans difficultés après une procédure correcte. 

 

L'alerte fut chaude. Le début du voyage était si prometteur : "un déplacement touristique". Mais voici que déjà se révèle son vrai visage.
Au sol, l'équipe de l'OT-CBB (CP-22) et son équipe de mécanos ont suivi les manoeuvres d'atterrissage et tout de suite le travail commence : remplissage des réservoirs, vérifications coutumières, etc.
En moins d'une heure, tout est prêt pour repartir mais il faut attendre les indispensables prévisions météorologiques qui doivent parvenir de l'aérodrome civil par avion.
Notre attaché militaire au Portugal, dans son impeccable tenue blanche de marin, ne quitte pas nos avions, suivant des yeux toutes les manoeuvres des spécialistes, tandis que les officiers portugais essayent d'expliquer pourquoi leur radar ne fonctionne pas.
Les minutes oisives qui s'écoulent ainsi permettent aux équipages de jeter un coup d'oeil aux alentours, le paysage émerge des nuages bas et les pilotes échangent des regards éloquents à la vue des hautes collines qui entourent cette base, et qui soulignent les risques encouru par les équipages lors de la descente.

Un "Piper Cup" fait un atterrissage d'élève-pilote apportant la météo, un dernier briefing et bientôt, sagement, deux par deux, les avions décollent dans un ciel presque complètement dégagé des nuages du matin.
Entre les deux paires, le contact visuel s'établira plus tard, seule la radio les unit. Les dialogues sont brefs, rapides, laconiques mais font cependant du bien à entendre car ils brisent la solitude de l'habitacle où souvent même, le pilote et le navigateur ne trouvent plus rien à se dire.

La dernière vision de l'Europe est le Cap Saint-Vincent, petit morceau de l'Espagne qui apparaît dans une des rares trouées de nuages.
Bientôt, ce ne sera plus qu'un immense tapis blanc qui cache terre et eau et où se réverbère un soleil brillant ; c'est maintenant le début du vrai voyage, le saut dans l'inconnu.
Les quatre avions sont à nouveau groupés dans cette formation large définie au début du voyage.
Le n°2 perd du carburant de ses réservoirs de bout d'ailes et le répand en deux longues traînées blanches.
Son ailier lui crie dans le micro :

- "Piet, tu siphonne à crever de tes tips ! "

Et la réponse aussitôt arrive flegmatique :

- "Oui, je l'ai vu, je tiens cela à l'oeil."

C'est tout, à la radio, mais on sent que chacun surveille les autres et essaie de voir si lui aussi ne perd pas son carburant. Maintenant cela n'a aucune importance, mais tantôt à l'arrivée, quel temps fera t-il ? Ce pétrole perdu ne sera t-il pas indispensable ?
Au moment opportun, chacun met les réservoirs auxiliaires en circuit, on entend encore dans les écouteurs la voix du numéro quatre :

- "Stock, tu siphonnes aussi ! "
- "Ok. Merci ! "

Les longues traînées blanches s'étirent derrière les réservoirs, la seule consolation c'est que que tous les avions perdent du carburant, cela doit être normal : question de dilatation et de température, du moins il faut l'espérer.

Le radio-compas maintenant indique le passage au-dessus de Safi : "Non return point" de la route vers Las Palmas.
En dessous de la formation, toujours la même couche continue de nuages. Le prévisionniste a signalé lors du voyage de reconnaissance que le ciel était toujours bleu au-dessus de Las Palmas, de toute façon les équipages ont une pensée pour ce brave Ténériffe et ses 3.718 mètres d'altitude.
Brutalement, les nuages se dissipent, les îles Canaries apparaissent avec leurs collerettes d'écume enchâssées dans un immense écrin bleu profond.
La descente est amorcée, les choses prennent peu à peu leur vrai visage, les maisons blanches de Las Palmas deviennent visibles, le miroir de l'océan se ride de vagues.
Un tour de l'île à basse altitude pour consommer le carburant superflu et aussi pour satisfaire un désir bien compréhensible.
A la demande de la tour de contrôle, quelques passages en rase-mottes sur l'aérodrome et finalement l'atterrissage sur une piste particulièrement courte et caillouteuse.
Les équipages reçoivent un accueil très sympathique de la part des autorités espagnoles locales et surtout du consul honoraire de Belgique qui veille à ce que rien ne manque.
Malheureusement, il faut attendre le C-119 (CP-22) qui lentement, trop lentement au gré des chasseurs, progresse vers Las Palmas. Pas question de bondir vers la ville contempler les Carmens au regard de feu.
Les réalités techniques, d'abord le remplissage des réservoirs, les bagages à sortir des soutes à canon tiendront les équipages à l'aérodrome jusqu'à l'arrivée du C-119. Très vite, le reste du travail technique est achevé et quatre taxis conduiront les équipages et les mécanos par des chemins de montagne vers la ville et l'hôtel Santa Catalina, sorte de paradis terrestre.
La certitude d'un lever plus que matinal le lendemain fait gagner le lit de suite après le repas du soir, bien qu'un bal magnifique ait lieu dans les salons de l'hôtel.

 

 

 

 

Étape Las Palmas - Dakar - Abidjan

 

 

Journée du 5 Juillet.

 

La nuit trop courte, dans ces chambres de lune de miel, n'a pas suffi à effacer la fatigue du premier jour.
Quatre heures du matin, dans le hall magnifique du Santa Catalina, les équipages CF et C-119 croisent les derniers danseurs qui quittent le bal.

A l'aérodrome, les mécanos s'affairent déjà aux "zincs" dans la clarté des projecteurs de l'aérogare.
Plan de vol, briefing, questions et recommandations, même une petite réprimande ... ne faut-il pas veiller à tout, même à la tenue ?
Et voilà de nouveau l'équipe de "Simba" prête au départ, il est 5 heures 30.

Les prévisions de Dakar sont bonnes, les équipages prennent place dans les avions et sur cette mauvaise piste caillouteuse de 600m de long, les décollages se font individuellement et successivement.
Dans la clarté naissante, les CF-100 mettent le cap sur Dakar.


Très vite, les mécanos rassemblent le matériel qu'ils rangent dans le ventre énorme du C-119 (CP-22) qui décolle à 6 heures à destination d'Abidjan via Dakar.
Lentement, en ajustant les vitesses, la large formation se reforme, au contact radio, s'ajoute bientôt le contact visuel.
Les liaisons radiophoniques s'établissent maintenant en français avec les stations des colonies françaises. A 40.000 pieds, c'est toujours le soleil resplendissant. Comme prévu au briefing, la formation survole Port-Etienne et les équipages ont un petit aperçu du désert en regardant vers l'Est.
Pour rompre la monotonie du travail, parfois une pointe d'humour fuse à la radio. Le léger accroc aux règles du traffic est ici permis, la saturation des ondes étant loin d'être atteinte.
Une longue descente vers Dakar commence et bientôt les pilotes aperçoivent le promontoire au bout duquel se situe la piste.
Un très large circuit au-dessus de l'océan pour consommer le carburant superflu, et à 08.57 Hrs, les quatre CF-100 dans une formation impeccable, exécutent leur dislocation à l'entrée de la piste.

 

Les navigateurs inscriront au journal de bord : "Dakar atterrissage 09.00 Hrs - Gros succès de curiosité".
Tout le personnel de l'aérodrome regarde les quatre chasseurs déjà bien alignés sur l'aire de stationnement. Très vite l'équipe du C-119 d'appui numéro 2 (CP-34) qui est à Dakar depuis la veille s'affaire au ravitaillement en carburant et en oxygène.
Après avoir pris un petit déjeuner à la française, déjà les formalités pour la deuxième étape sont entamées.

Les prévisions météorologiques pour Abidjan, capitale de la Côte-d'Ivoire, ne sont pas très brillantes. Comme prévision d'atterrissage, à peine les minima imposés et des orages sur une bonne partie de la route.
L'équipe numéro 2 de mécanos est animée du même enthousiasme que la première car déjà le chef d'équipe vient annoncer que les avions sont en état de vol.
Le bruit des moteurs, à la mise en marche, effraie un peu les autochtones présents, tant de bruit et pas d'hélice ? Encore une invention de blancs !
Deux par deux, les CF décollent et grimpent : Cap sur Abidjan, dernière étape de la journée.
Bientôt, le contact radio cesse avec Dakar, et comme prévu le passage au-dessus de Ziginchor est signalé.
Le C-119 numéro 2 (CP-34), après avoir réembarqué personnel et matériel, se presse de décoller, car il s'agit d'effectuer la plus longue étape de liaison et les vents sont défavorables.

Le C-119 numéro 1 arrive ensuite dans le circuit de Dakar et le chef de mission reçoit par radio le compte rendu des opérations, il se pose après 5 heures 35 de vol sans histoire.
Le temps de prendre un sandwish et un café, puis de procéder au refueling, qu'il est déjà l'heure du départ.
A 12 heures 35, le CP-22 décolle pour Abidjan. Après le survol d'un petit bout de désert et d'une longue étendue marécageuse, le ciel devient de plus en plus nuageux. Le sol disparait de la vue de l'équipage et enfin la pluie se met à tomber. Heureusement l'arrivée de l'appareil à Abifjan est saluée par une brève éclaircie.
Il est 19 heures 30 quand il se pose, après un périple qui aura duré sept heures.

Entre les équipages des CF les discussions vont bon train. Les couches nuageuses deviennent de plus en plus denses, des cumulo-nimbus commencent à se former et de nombreuses "enclumes" se profilent dans le lointain.
Le leader appelle Abidjan : aucune réponse.
la première annonce de "Tip empty" résonne dans les écouteurs ; c'est naturellement le numéro 4 (Elen) , qui ayant peiné pour rejoindre la formation, signale le premier qu'il passe sur ses réservoirs internes.
Rapidement, les autres ailiers communiquent le même renseignement.
Les appels souvent répétés du leader reçoivent finalement une réponse extrêmement faible d'Abidjan qui procure un petit soulagement.
Hélas, ce soulagement sera de courte durée : le contrôle d'Abidjan, après avoir obtenu un contact radio satisfaisant, signale que la météo s'est gravement détériorée. Un orage est stationnaire au-dessus d'Abidjan et les conditions atmosphériques sur l'aérodrome sont les suivantes : plafond 80 mètres, visibilité pratiquement nulle dans une forte pluie, aucune amélioration prévue dans l'heure, atterrissage impossible.
Après une rapide vérification du carburant dans les réservoirs, la décision est prise immédiatement de se diriger vers l'aérodrome de diversion prévu : Accra à 240 km d'Abidjan.
Lentement, la formation vire vers l'Est et le leader appelle le contrôle d'Accra.
De nouveau le silence absolu.
Selon les prévisions du départ, Accra devrait être bon, mais Abidjan aussi devait être bon !
Les graphiques de consommation consultés, les calculs fréquemment vérifiés, plus de paroles inutiles à la radio, une extrême tension règne parmi les équipages.
Accra, c'est l'atterrissage ou l'éjection ; mentalement, les pilotes se remémorent le "drill" d'éjection.  Et le contact radio avec le contrôle qui ne veut pas s'établir, les appels du leader restent vains...
Le chef de formation demande une vérification du carburant : les chiffres arrivent sans hésiter, on sent que chacun a déjà fait dix fois cette lecture : c'est le numéro 4 qui est en moins bonne posture.
La radio d'Accra est toujours muette.
Les nuages sont toujours aussi compacts, mais il semble que les formations orageuses deviennent plus espacées. 

 - "Simba leader - de Man (*), comment me recevez-vous ? à vous ! "

 - "Man - Simba leader vous reçoit cinq sur cinq ! à vous ! "


(*) Man, petit aérodrome de brousse au Nord de la route Abidjan - Accra, et non prévu au briefing.

L'impression de solitude est brusquement rompue, quel que soit cet opérateur radio qui appelle, il est pour les chasseurs une raison d'espérer une aide.

 - "Man de Simba leader, pouvez vous me passer une météo d'Accra ? "

Immédiatement l'angoissant problème est posé à cet ami inconnu. Sa réponse signifiera si des hommes dormiront ce soir dans un lit, ou s'ils essayeront de survivre en brousse.
Cet opérateur doit être à l'écoute depuis un certain temps car il semble partager les soucis de nos quatre équipages ; on entend au son de sa voix que ces quatre avions sont devenus "ses avions".

 - "Simba leader - de Man, je prends contact avec Accra en graphie et vous tiens au courant. Terminé. "

L'attente se prolonge, les secondes qui s'écoulent longues, interminables.
Insensiblement, la formation s'est resserrée.

 - "Simba, de Man ! "

- "Man, de Simba, allez y ! "

- "Voici la météo d'Accra ... (dans chaque avion on vit un suspense à la Hitchcock) : 4/8 de Stratus à 1500 pieds, 6/8 de strato-cumulus à 3000 pieds, visibilité 15 miles. "

A bord, c'est la détente immédiate, plus de problème de météo, il n'y a plus que le carburant qui occupe les pilotes.
Enfin le contact avec Accra est établi, la météo est confirmée et le contrôle passe les consignes d'atterrissage.
Le leader fixe les procédures de descente : le 3 et le 4 d'abord : ils ont le moins de carburant, le 1 et le 2 resteront en altitude jusqu'au moment où le 3 et le 4 seront dans l'approche finale.
Pour économiser un peu de ce précieux fuel, les moteurs sont arrêtés. Tels des planeurs, les CF-100 descendent vers l'aérodrome. Les moteurs sont rallumés peu avant l'approche finale.

 - "Dépêche toi mon vieux, je n'ai plus que 900 livres ! "

C'est la voix du numéro 4 qui rappelle qu'il est en mauvaise posture.
Enfin le sol ! Il est des atterrissages qui font rudement plaisir.

Bientôt les quatre avions viendront s'aligner en face de la tour de contrôle. Déjà un nouveau problème se pose.
Quel accueil Accra, capitale du Ghana, pays africain indépendant, va-t-il nous réserver ?
Heureusement, les craintes sont vite dissipées, car le chef d'aéroport s'avance la main tendue et ses premières paroles sont : "Welcome to Ghana ".
Rapidement, l'aire de stationnement est envahie par une foule bariolée et bruyante d'indigènes qui regardent, craintifs et peut être hostiles, les chasseurs étrangers.
La majorité des membres d'équipage qui en sont à leurs premiers contacts directs avec la population noire s'effrayent de cette invasion.
Quelque chose doit inquiéter ces indigènes qui discutent fiévreusement entre eux.
La clef de l'énigme est donnée par un policier de service qui demande dans un anglais impeccable :

- "D'où venez vous ? "

- "Où allez vous ? "

- "Qu'y a-t-il comme armement à bord de vos avions ? "

- "Qu'allez-vous faire au Congo ? "


Les réponses sont traduites immédiatement dans le dialecte local.
Ce n'est que lorsque la dernière réponse est donnée : "Participer à un meeting aérien" que les mains se tendent et que de larges sourires apparaissent.
La glace est rompue, l'accueil au Ghana restera un des plus beaux souvenirs de la mission "Simba" par sa cordialité et sa spontanéité. Autre surprise aussi agréable que inattendue : la rencontre de deux Belges qui construisent des routes dans ce pays, leur joie fut égale à celle des équipages.
Entre Temps, le C-119 n°2 (CP-34) de support reçoit l'ordre de se rejoindre Accra.
Malheureusement, les conditions atmosphériques défavorables, vent debout, détours pour éviter des orages violents ont épuisé fortement les réserves de carburant, et ce n'est que très tard dans la soirée, après avoir atterri à Abidjan dans des conditions très peu favorables, pour reprendre de l'essence, que le C-119 arrivera finalement à Accra.
L'équipe de mécanos ausitôt fournira pendant une grande partie de la nuit un travail pénible pour préparer les avions au vol du lendemain.
Pour tous les équipages, la journée a été rude.

 



Étape Accra - Lagos - Léopoldville

 

 

 

 

Journée du 6 Juillet.

Les dispositions initiales ayant été bousculées à cause de la diversion, il faut remettre les choses en ordre pour l'étape du jour.
Déjà à trois heures du matin, le C-119 numéro 1 (CP-22) décolle d'Abidjan pour Lagos afin d'être présent lors de l'arrivée des CF-100.
Au passage, il survole Accra et le chef de mission donne ses instructions au contrôle local ; pas de décollage de CF sans ordre de Lagos.
L'atterrissage du C-119 CP-22 à Lagos s'effectue sous une pluie diluvienne et, dans de telles conditions, il n'est pas possible d'autoriser les CF à décoller d'Accra.
Heureusement, les liaisons radio sol-sol avec Accra sont excellentes, le signal de départ pourra être donné aux CF dès qu'une amélioration météorologique sera en vue. Les services météo consultés, une mise au point est effectuée avec le contrôle local pour pouvoir accepter les chasseurs en procédure QGH (Approche contrôlée par goniométrie)
L'officier de liaison expose au contrôleur anglais de Lagos les particularités de l'approche QGH en CF et, à 10.45 hrs, ordre est donné aux chasseurs de décoller d'Accra.
Une petite heure de vol. Si par malchance le temps se détériore à nouveau, ils pourront retourner à Accra, qui selon la météo, restera utilisable.
Aussitôt l'ordre reçu, les équipages se précipitent aux avions, et dans la foule de curieux, une multitude de mains s'agitent pour leur souhaiter bon voyage.

 

Les CF se dirigent maintenant deux par deux vers Lagos. C'est en passant à 13.000 mètres entre les sommets de puissants cumulo-numbus que bientôt ils captent la radio-balise de Lagos aux radio-compas.
La descente sera individuelle. Chaque avion guidé par un système gonio particulièrement efficace, se présentera en bordure de piste après avoir traîné pendant 10 à 15 kilomètres à une centaine de mètre entre les nuages bas qui s'effilochent alors que de la forêt équatoriale s'évapore la pluie chaude.
Les avions se suivent à 5 minutes d'intervalle et bientôt ils sont réunis sur l'aire de stationnement à côté du C-119.

Selon une technique bien rodée maintenant, les mécanos se mettent au travail dans un véritable bain de vapeur.
Notre consul de Belgique qui était à l'aérodrome depuis le matin s'affaire à aplanir les petites difficultés qui se présentent toujours dans un pays étranger lorsqu'on y arrive pour la première fois, son aide aura été précieuse pendant cette courte escale.
Après un léger repas à la mode anglaise, le briefing traditionnel.


Le but n'est plus très loin maintenant, deux heures de vol, plus aucune difficulté météo à craindre ; à Léo, c'est la saison sèche.
Vers 14.00 heures, les CF décollent en soulevant une énorme gerbe d'eau et de vapeur derrière eux, et à travers les nuages, disparaissent rapidement.
C'est au tour du C-119 CP-34 maintenant de décoller. Décidément les équipages de transport sont mis à rude épreuve. Pour les CF, deux heures de vol au-dessus du mauvais temps qui se traduisent pour le C-119 en cinq heures de vol dans les nuages, la pluie, les orages.
La formation déjà reformée file vers Léo.
 - "Simba Leader de Bravo Bravo (*), est-ce que tout va bien à bord ? "   (*) Indicatif du C-119 OT-CBB CB-22.
 - " Bravo Bravo de Simba Leader. OK, sauf une panne de génératrice pour moi. Voyant rouge allumé, certainement du à la pluie. Terminé".
C'est le chef de mission, qui du C-119, s'informe des conditions de vol de la formation.
Très souvent, les C-119 serviront de relais-radio et fourniront les renseignements météorologiques des aérodromes de destination. Comme des mère-poules, ils s'informent du survol par les CF de tous les points de passage prévus.

Les réservoirs en bout d'ailes siphonnent toujours avec la même régularité, cela devient une habitude et plus personne ne s'inquiète.
Déjà les radio-compas accrochent le puissant radio-phare de Léo. Une longue et lente descente vers le Congo est entamée. Les nuages refoulés par la saison sèche disparaissent pour faire place à une brume qui, de 13.000 mètres d'altitude, laisse à peine deviner le sol.
Maintenant la voix du contrôleur de Léo résonne clairement dans les écouteurs. Il s'agit d'un ancien contrôleur militaire du 349 Sqn ; J.J Mans, et il connaît toujours sa procédure et sait ce que sont des avions à réaction.
Les consignes d'atterrissage reçues, le contrôle demande d'effectuer un passage à basse altitude sur la ville européenne et la cité indigène.
Inutile de dire que c'est avec le plus grand plaisir que les équipages resserrent la formation pour exécuter les passages demandés. Dans une formation impeccable les CF se présentent dans l'axe de la piste pour un premier passage sur l'aérodrome.
Un dernier passage face à la tour, la formation se reforme et c'est la dislocation finale, les avions se posent à 11 heures 30 sur la piste de N'Djili longue de 4800 mètres !
Pendant cette exhibition, un DC-7 a reçu l'ordre d'attendre loin de l'aérodrome.
Cette inhabituelle faveur accordée aux militaires ne fut guère appréciée par le pilote de l'avion de ligne...

 

Les quatre CF-100, les premiers avions à réaction à se poser sur l'aérodrome de N'Djili dormiront leur première nuit au Congo Belge sous la garde des para-commandos.
Le soir, toute l'équipe "Simba" se retrouve à l'hotel Palace, et fêtent dignement leur arrivée au Congo.

 

 

 

Séjour au Congo Belge

 


 

Journée du 7 Juillet

 

Le 7 Juillet comme prévu, les CF effectuent le survol du Bas-Congo, la descente du fleuve en rase-motte jusqu'à Boma, le petit passage à Kitona et à nouveau le survol de Léo dans une formation impeccable.
Il n'y a pas beaucoup d'activité sur l'aérodrome de N'Djili lors des passages des CF. Tout le monde, noirs et blancs abandonnent leurs occupations pour admirer ces avions, qui pour beaucoup d'entre-eux sont une révélation.
Dans le courant de l'après midi, deux CF-100 sont exposés devant l'aérogare de N'Djili. Gros succès de foule ; pourtant il faut parcourir environ 30 kilomètres pour venir de Léo à l'aérodrome.
La visite du Gouverneur Général indique à quel point l'arrivée des CF-100 est appréciée au Congo.

Le soir, grosse détente ! Une réunion organisée par la firme Intair au restaurant du Zoo, regroupe autour des représentants de cette société tous les participants de l'opération "Simba" et diverses autorités de la capitale congolaise.

 

Journée du 8 Juillet

 

Le 8 Juillet, cap sur Kamina, but final de la mission.
Après les passages à basse altitude (qui commencent à devenir une coutume), les quatre CF se posent enfin sur la belle piste de Kamina.
Sur l'aire de stationnement, le commandant de Base souhaite  la bienvenue aux équipages.

 


Déjà semblaient se dessiner ce que beaucoup de pilotes craignaient, des réceptions officielles à n'en plus finir et l'emploi intensif de la tenue de cérémonie prévue dans les bagages par un chef de mission méticuleux.
Heureusement les craintes se révèlent vaines, à part le verre sympathique des moniteurs et la présentation imprévue à M le Ministre de la Défense Nationale, les équipages mènent une vie d'ermite. Pour les plus enthousiastes, c'est la grosse déception.
Les vols prévus au départ de Kamina sont exécutés normalement : Elisabethville, Jadotville, Kolwezi, Albertville, Usumbura, Bukavu.

Les élèves de l'école de pilotage avancé (EPA) viennent admirer l'avion sur lequel ils voleront peut être un jour.

 

 


le 11 Juillet, se déroule le meeting aérien commémorant le dixième anniversaire de la Base, la participation des CF fut naturellement très remarquée et la présentation acrobatique à basse altitude effraya plus d'un spectateur.

 

Retour vers la Belgique

 

 

 

13 Juillet, déjà le retour vers Léo ; l'horaire doit être respecté scrupuleusement ; une tentative de prolonger le séjour au Congo est repoussée par le chef de mission qui ne veut pas compromettre la sécurité du retour liée aux arrangements pris sur les différents aérodromes, lors du voyage d'étude.

 

 

 

Etape Léo - Lagos - Abidjan

 

 

Journée du 14 Juillet.

 

Les problèmes rencontrés au voyage aller se répètent, mais déjà les équipages ne sont plus des novices, les gros cumulo-nimbus ne sont déjà plus aussi effrayants ; à Lagos, c'est l'atterrissage avec un plafond de 200 pieds entre deux averses tropicales.
Il semble que les difficultés s'applanissent plus facilement, il n'y a plus cette crainte de l'inconnu, déjà tout cela est devenu une habitude.
14 Juillet,Abidjan, mais c'est la fête nationale française !
La première partie des CF-100 participe involontairement au défilé officiel tandis que la seconde improvise, à la demande de la tour de contrôle, une petite démonstration acrobatique devant un public nombreux venu spécialement pour assister à l'arrivée des avions à réaction belges.

 

 

Journée du 15 Juillet.

 

Trois heures du matin, le premier C-119 décolle déjà d'Abidjan tandis qu'à cinq heures, les équipages CF et deuxième C-119 se dirigent vers l'aérodrome dans un bus militaire français.
Tout se déroule comme prévu, les prévisions météo sont bonnes, il semble que les mauvais moments sont révolus.

Et pourtant... dès la mise en route, le Lt Marcel Vander Stockt est confronté à une panne du système électrique de son AX-23.
Du au taux élevé d'humidité rêgnant sur l'aérodrome, les deux génératrices sont en court-circuit ; les deux Generator Fail Warning Lights sont allumées. (*)
En moins d'une demi heure, les techniciens arrivent à sécher les deux génératrices, et remettre le système électrique en fonction.
La paire Nr.2 décolle néanmois avec 30 minutes de retard sur la paire du Maj Cyriel Delers.

 

(*) La génération électrique 28v DC du CF-100 est fournie par une génératrice 28v 400A par moteur, et par une batterie 24v situé dans l'arrière fuselage.
Deux Warning Lights portant l'indication GENERATORS sont situées à l'avant de la consolle droite, et s'allument en cas de panne de génératrice, de court-circuit, ou de surtension.

 

Bientôt, les CF-100, par section de deux, se dirigent vers Dakar.
la routine du vol s'accomplit sans heurt.
Brutalement, l'incident se déclenche dans l'avion du leader de la deuxième formation (n°3), un autre soucis pour le Lt Vander Stockt :

Lt Vander Stockt : - "J'ai la pression hydraulique qui dégringolle, je n'ai plus que 1600 livres"
Cpn Berry : - "Ce n'est peut être que passager, tiens le manomètre à l'oeil "
Lt Vander Stockt : - "Oui, mais j'averti le Leader ! "

Dix minutes s'écoulent, la pression hydraulique tombe à 800 livres, puis 700. Au tableau de bord, la lumière rouge d'avertissement de perte de pression hydraulique brille par intermittence.
Cette satanée aiguille du manomètre oscille continuellement, remonte à 900 livres, la lumière s'éteint.
Le Leader, par radio, est informé de ces détails.
L'équipage sait que si la chute de pression se maintient, le pilote devra assurer le pilotage manuel sans la précieuse démultiplication hydraulique,  rendant ainsi la conduite de l'avion très délicate et extrêmement fatiguante. L'équipage sait aussi que les Flaps à l'atterrissage peuvent sortir irrégulièrement à l'aide du système de secours, rendant l'avion incontrôlable ; que la sortie du train d'atterrissage dépend également d'un système de secours dont l'utilisation nécessite au sol de longues heures de réparation.
Ce manomètre devient le centre d'intérêt principal du tableau de bord, l'aiguille oscille continuellement et tout à coup, nouvelle chute de pression : 400 livres.
En prévision de cette chute de pression, la vitesse a été considérablement réduite, car à vitesse normale de croisière, l'avion serait incontrolâble.
Vitesse indiquée : 180 noeuds, et Dakar est encore à 250 Nm, c'est à dire à environ 1h15 de vol.
A bord, pilote et navigateur sont calmes et cependant préparés au pire :

Lt Vander Stockt : - "Si on doit sauter, je t'avertirai par inter et te donnerai le signal rouge"
Cpn Berry : - "Bien compris, nous sommes à quarante-cinq minutes de Dakar"
Lt Vander Stockt : - "Si on saute, je partirai le plus vite possible après toi, on essayera de se rejoindre au sol "
Au sol ! Un coup d'oeil dehors pour voir ce sol, une côte très basse et des marais ! Crocodiles, serpents, moustiques !
Toutes ces images peu réconfortantes se succèdent et pourtant malgré la fatigue, on espère que l'éjection ne sera pas nécessaire.

Lt Vander Stockt : - "Si cela se complique, quelle serait la meilleure diversion ? "
Cpn Berry : - " Ziguinchor, mais je crois qu'il vaut mieux essayer Dakar si tout continue comme maintenant "
Lt Vander Stockt : - " Bien sur ! "

En formation sur son n°1, l'ailier suit continuellement l'avion en difficulté prêt à donner immédiatement l'alerte si cela tourne mal. A 100 Nm de Dakar, l'appareil avarié amorce une lente descente jusque 10.000 pieds.
Le leader de la formation a continué sa route à vitesse normale pour se poser à Dakar avant l'avion en difficulté et prevenir les services de contrôle.

 - "Dakar de Simba 60, suis en complète panne hydraulique, demande atterrissage en priorité "
 - "Simba 60 de Dakar, la météo est bonne, mettons en place dispositif de sécurité. Utilisez vous la piste normale, ou la piste de secours ? "
 - Dakar de Simba 60 : nous allons essayer de sortir le train, si tout marche normalement, nous emploierons la piste normale "

Pendant que ce dialogue avec Dakar était mené par le navigateur, le pilote entretenait une longue procédure de descente sur le radio-phare de façon à réduire au maximum les manoeuvres d'approche à basse altitude.
A 30 Nm de l'aérodrome, l'avion est dans l'axe de la piste à 3.000 pieds au dessus du sol.

On essaye de sortir le train d'atterrissage comptant sur les dernières livres de pression pour descendre les roues et les verrouiller.
L'ailier décrit la lente sortie du train d'atterrissage. Une des roues principales balance pendant de longues secondes sans vouloir se verrouiller.
Enfin l'indicateur de bord donne trois lumières vertes : train sorti et verrouillé juste au moment où l'on allait se décider à employer le système de secours.
La piste approche, la vitesse est réduite et l'avion se pose normalement.

L'ailier, comme un chien fidèle, a suivi toutes les manoeuvres jusqu'au dernier moment et à son tour vient atterrir.
Escorté de la longue caravane rouge des véhicules de secours de Dakar, le CF se dirige lentement vers l'aire de stationnement.

La cause de cette panne est vite trouvée ; un joint d'étanchéité du système de commande hydraulique des ailerons a cédé, provoquant ainsi la perte de toute l'huile.
Jetant un coup d'oeil dans l'aile ouverte de l'avion, un mécanicien d'Air France déclare : 
 "Eh bien les gars, avec une panne parreille, vous êtes ici pour deux ou trois jours"

Cette phrase fut vraisemblablement ressentie comme un défi par nos mécaniciens, car à 17.30 hr, c'est à dire sept heures après l'atterrissage, l'officier technicien annonçait : "Avion prêt"
Aussitôt l'ordre de décollage est donné pour Las Palmas, l'horaire prévu pour la mission pourra être respecté.
Ce n'est qu'à minuit, que l'équipage du C-119 arrivera à l'hôtel Santa Catalina.

 

 

 Etape finale : Las Palmas - Lisbonne - Beauvechain

 

Journée du 16 Juillet

A partir de ce moment, il semble que la "poisse" a épuisé tout ses moyens de frapper la mission ; même les nuages disparraîssent pour permettre aux chasseurs de découvrir l'impressionnant désert de l'Ouest Africain.


De Las Palmas, en respectant l'horaire, les quatre CF-100 volent vers Ota, puis vers Beauvechain.
Au dessus de la France, ils sont interceptés par des Vautours et des Mystères, visites symphatiques qui sentent bon le pays, et qui rompent la solitude des jours précédents à haute altitude.

 - " Tour de Beauvechain de Simba Leader, estimons l'aérodrome dans cinq minutes, demandons consignes d'atterrissage "
 - " Simba Leader, piste en usage 22 droite, réglage altimétrique 30.21, vent au sol calme. Rappelez en finale "

Il est quasi treize heures, la formation Simba vit ses derniers instants, les roues de ses avions, en se posant sur l'asphalte, ferment le grand livre d'aventure ouvert quinze jours plus tôt...
Les C-119 atterrirons pour leurs part bien plus tard à l'aéroport de Melsbroek.

 

Photo A5907-26 : L'équipage au complet après l'attérrissage à Beauvechain, le 16 Juillet 1959.

 

Conclusions

 

Que reste-il maintenant de cette mission "Simba" qui pendant de long jours a été le centre d'intérêt d'une bonne partie de la Force Aérienne ?
Tout d'abord une belle expérience acquise dans un nouveau domaine.
Pour la première fois, des chasseurs à réaction portant nos cocardes ont survolé une grande partie du Congo.
Peut être ensuite que le nom de Belgique est un peu plus connu depuis l'embouchure du Tage jusqu'au fleuve Congo.
Il n'est sans doute pas superflu de citer ici les paroles d'un mécanicien d'Air France à Abidjan : "Si ce n'est pas malheureux de voir que ce sont les petits Belges qui viennent nous montrer les premiers avions à réaction "
Finalement, l'enseignement principal !

Néanmoins, une telle mission n'est possible que si tout le personnel ; équipages des chasseurs et des avions de transport, équipes de mécaniciens, sont animés du même esprit de collaboration, puisant dans le désir de réussir la mission, la volonté de surmonter tous les obstacles.

Faut il citer les heures de prestation du 15 juillet (Abidjan - Las Palmas) d'une équipe de mécaniciens, ces hommes qui accomplissent les travaux obscurs sans jamais être à l'honneur ?

- Lever : 4.00 heures
- Départ 4.30 sans pouvoir déjeuner.
- De 05.00 à 06.30 : Travail aux avions.
- De 07.00 à 13.00 : Transport en C-119 ; soit six heures de vol sans aucun confort, et dans des conditions souvent très désagréable.
- De 13.00 à 18.00 : Travail aux avions sous une chaleur torride, en se relayant pour manger un sandwish ou boire un Coca-Cola.
- De 18.00 à 23.00 : Cinq heures de vol vers Las Palmas afin d'arriver enfin à l'hôtel vers minuit.

Quatre heures de repos plus tard, il faut recommencer.
Cet emploi du temps indique mieux que de longues phrases, le travail épuisant qu'il a fallut fournir pour respecter l'horaire prévu.
Ce ne fut nullement le voyage de tourisme que certains s'étaient plu à imaginer.
Deux mois de préparations, quinze jours de prestations épuisantes pour que le 17 juillet, le chef de mission puisse annoncer au chef d'Etat Major de la Force Aérienne :
"Mission accomplie"